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Ca
vient d'où?
Cet article est la traduction d'un texte de Stephen Barrett, médecin
américain.
Je rappelle, si besoin est, que ce site n'est pas anti-ostéopathie. Je
pratique moi-même des techniques manuelles tout à fait précieuses
dans les problèmes ostéo-articulaires du quotidien. La retranscription
de cet article n'est pas du tout pour "couler" l'ostéopathie,
qui a obtenu une grande faveur populaire par des résultats bien tangibles.
L'objectif est plutôt de rappeler aux thérapeutes eux-mêmes
les dérives possibles d'une spécialité quand elle est n'est
pas encadrée.
Vous devez savoir qu'aux US, les ostéopathes sont des médecins
tout à fait officiels, qui exercent parallèlement à la
médecine traditionnelle et reçoivent une formation en sciences
fondamentales équivalente. Je donne un commentaire plus détaillé
de l'article à la fin.
Racines sectaires:
Andrew Taylor Still (1828-1917) énonça les bases de l'ostéopathie
en 1874, quand la science médicale était encore dans l'enfance.
Médecin, Still croyait que toutes les maladies provenaient d'un blocage
mécanique de l'influx nerveux et de la circulation sanguine, et pouvaient
se traiter par la manipulation des os déplacés des nerfs et des
muscles, ôtant ainsi les obstructions et rétablissant la circulation
de la vie. Dans son autobiographie, il indique qu'il peut en secouant un enfant
stopper une scarlatine, une diphtérie ou une coqueluche. Il peut traiter
une toux sévère en 3 jours par une torsion du cou.
Still était opposé à l'utilisation des médicaments
de son époque et considérait la chirurgie comme un dernier recours.
Il fut considéré comme gourou et rejeté par la médecine
traditionnelle. Il fonda la première école de médecine
ostéopathique dans le Missouri en 1892.
L'ostéopathie
aujourd'hui:
19 écoles sont accréditées. Environ 44.000 ostéopathes
pratiquent aux USA. L'admission dans une école demande d'avoir fait 3
années de collège, mais presque tous les étudiants ont
le bac ou un niveau d'étude supérieur. Le diplôme de docteur
en ostéopathie (DO) nécessite plus de 5000 heures de formation
sur 4 années scolaires. Les cours sont assurés par des DO et des
profs de sciences fondamentales, plus quelques médecins. Le diplôme
est suivi d'une année d'internat hospitalier. Il existe des spécialités
ostéopathiques sur le modèle des spécialités médicales,
qui demandent de 2 à 6 années de formation compémentaire.
L'Association Ostéopathique Américaine (AOA) reconnaît plus
de 60 spécialités et sous-spécialités! Il faut en
être membre pour se voir reconnu un certificat de spécialité,
ce qui oblige tous les ostéopathes à y appartenir même s'ils
ne sont pas d'accord avec sa politique.
Le niveau de connaissances des étudiants des écoles d'ostéopathie
est en moyenne inférieur à celui des étudiants en médecine
si l'on en croît les résultats des tests d'admission. Ces écoles
se caractérisent en outre par un faible pourcentage d'enseignants plein
temps, par la rareté des activités de recherche. Certaines ont
des difficultés à attirer suffisamment de patients pour garantir
le même degré d'expérience aux étudiants que dans
les facs de médecine. Cependant, comme pour les études médicales
classiques, la compétence finale repose sur le travail personnel fourni.
Les ostéopathes pratiquent beaucoup plus souvent que les médecins
des techniques non démontrées: thérapie par les chélateurs,
écologie clinique, traitement orthomoléculaire, homéopathie,
médecine ayurvédique... La pratique non démontrée
la plus répandue est l'ostéopathie crâniale.
Les excès
de l'Association Ostéopathique Américaine:
Beaucoup pensent aux US qu'ostéopathie et médecine devraient fusionner.
Mais les associations d'ostéopathes s'accrochent à une identité
séparée et exagèrent les différences mineures qui
séparent les 2 disciplines. L'AOA publiait ainsi en 1987 une brochure
précisant que: a) l'ostéopathie est la seule branche médicale
qui suit l'approche d'Hippocrate, b) l'appareil musculo-squelettique est le
coeur de la bonne santé d'un individu, c) les manipulations permettent
de faire manuellement de nombreux diagnostics et sont une alternative fréquente
aux médicaments et à la chirurgie. Une autre brochure de 1991
prétendait que les manipulations encourageaient la tendance naturelle
du corps à rester en bonne santé et, combinées aux autres
procédures médicales, étaient le traitement le plus compréhensible
qui soit. Pour l'AOA, l'appareil musculo-squelettique est en relation anatomique
avec tous les autres organes et permet par des manipulations de diagnostiquer
et traiter l'ensemble de l'organisme.
La thérapie
par les chélateurs:
C'est une série d'intraveineuses d'EDTA (calcium disodium edetateis)
et d'autres substances. L'EDTA capte les métaux lourds et est utilisé
en médecine classique pour traiter des empoisonnements par le plomb ou
l'aluminium. Pour les ostéopathes qui l'utilisent, c'est un traitement
également efficace sur l'artériosclérose et d'autres maladies
sérieuses. Aucun essai scientifique contrôlé ne l'a jamais
confirmé. L'AOA ne reconnaît pas la thérapie par les chélateurs
comme efficace.
L'ostéopathie
crânienne:
Ses défenseurs pensent qu'un rythme circulatoire existe au niveau des
liquides qui baignent le cerveau et la moelle épinière (liquide
céphalo-rachidien). Des maladies peuvent être guéries en
détectant des troubles de ce rythme et en les corrigeant par des manipulations
des os du crâne.
Le fondateur de l'ostéopathie crânienne est William G. Sutherland,
qui publia son premier article dans les années 30. Une myriade de problèmes
sont actuellement traités de cette façon: migraine, douleurs cervicales,
troubles d'occlusion de la mâchoire, fatigue chronique, difficultés
de coordination motrice, troubles oculaires, dépression, hyperactivité,
déficit d'attention, maladies du système nerveux central, etc...
Une variante est la thérapie biocrâniale de l'anglais Robert Boyd,
qui traite varices, prolapsus de la vessie, désordres prostatiques, vertiges
de Ménières, hypertension et angine de poitrine, psoriasis, eczéma,
troubles des règles, rhumatismes, tous les troubles digestifs, asthme
et même les emphysèmes et dilatations des bronches... sans oublier
la très à la mode fibromyalgie.
La théorie de l'ostéopathie crânienne est foncièrement
erronée puisque les os du crâne sont soudés à la
fin de l'adolescence et qu'aucune étude n'a pu démontrer qu'ils
étaient mobilisables. Les seules pulsations connues du cerveau sont celles
de la circulation sanguine.
Une étude essayant de vérifier si les examens crâniens des
ostéopathes étaient comparables d'un examinateur à l'autre
ont montré en fait des différences exactement superposables à
des examens faits au hasard. En 2002, 2 profs du Collège ostéopathique
de Nouvelle-Angleterre concluaient de leurs recherches que l'ostéopathie
crânienne n'était pas une méthode scientifique et devrait
être supprimée du cursus ostéopathique.
Les conclusions de
l'auteur:
Stephen Barrett croît que l'AOA a tort d'exagérer les bénéfices
des manipulations et de cautionner des techniques non démontrées
comme l'ostéopathie crânienne. Il conseille pour les patients qui
choisissent un médecin traitant ostéopathe d'en sélectionner
un qui, a) a fait un internat dans un hôpital médical, b) ne prétend
pas que les ostéopathes ont une philosophie supérieure ou que
les manipulations procurent un bien-être général, c) ne
manipule pas ou utilise essentiellement les manipulations pour traiter les douleurs
vertébrales, d) ne fait pas d'ostéopathie crânienne.
Les réactions:
Dans les lettres reçues par S. Barrett, beaucoup proviennent d'étudiants
en ostéopathie qui se plaignent de la position dogmatique de l'AOA et
de la propagande souvent anti-médecine traditionnelle qu'on leur assène
pendant les cours.
Un ancien enseignant en sciences fondamentales d'un collège ostéopathique
dit qu'il a voulu faire des recherches scientifiques sur les postulats de l'ostéopathie,
en particulier créer des modèles animaux de lésions du
système nerveux végétatif, et qu'on lui en a refusé
le financement, sous le prétexte que "puisque nous savons que ça
marche, nous n'avons pas besoin de nous embêter à le démontrer".
Pour lui, les ostéopathes du crâne ne sentent pas le besoin de
démontrer leur pratique dont les bases sont pour eux plutôt métaphysiques
et liées à leur habileté manuelle à sentir les mouvements
du crâne. Il cite le cas d'une étudiante qui a consulté
son prof d'ostéopathie pour une maladie non diagnostiquée et dont
la conclusion a été qu'elle avait "un trou dans son aura".
D'autres lettres sont moins sympathiques: celle-ci vient d'un ostéopathe
texan:
QUICONQUE EST ASSEZ IGNORANT POUR CRITIQUER LES BÉNÉFICES DES
MANIPULATIONS EN 1999 DEVRAIT SE PENDRE DANS SES TOILETTES. 95% DES MÉDECINS
QUI PRATIQUENT LA THÉRAPIE PAR CHELATEURS SONT DES DOCTEURS EN MÉDECINE.
LA THÉRAPIE PAR CHÉLATEURS EST EFFICACE CHEZ 85 À 95% DE
TOUS LES PATIENTS QUI VONT JUSQU'AU BOUT. AINSI LE STUPIDE ENCULEUR DE MÈRE
QUI A FAIT CETTE PAGE WEB MÉRITE DE MOURIR D'UN CANCER DE LA GORGE. FAITES-MOI
PLAISIR D'UTILISER TOUTES LES MÉTHODES TRADITIONNELLES POUR ESSAYER DE
TRAITER LE CANCER DE L'OESOPHAGE QUE JE VIENS DE VOUS SOUHAITER. J'ESPÈRE
SINCÈREMENT QU'ILS SERONT OBLIGÉS DE VOUS ENLEVER LA MACHOIRE
APRÈS VOTRE RADIOTHERAPIE. MEURS ENCULEUR DE MÈRE!!!!
Un autre ostéopathe a demandé à S. Barrett de retirer cette
lettre du site web en espérant qu'elle ne provenait pas réellement
d'un médecin ostéopathe, mais S. Barrett lui a répondu
que l'auteur s'était identifié et faisait partie de l'AOA, et
qu'il laissait ce courrier parce qu'environ 20% de ce qu'il recevait était
de la même teneur...
Mes commentaires:
Les ostéopathes américains sont un peu dans la situation des médecins
"à mode d'exercice particulier" en France, c'est-à-dire
pratiquant des spécialités non démontrées scientifiquement:
homéopathie, acupuncture, magnétisme. L'intérêt des
manipulations est reconnu pour les affections vertébrales de causes mécaniques,
mais est suspect pour d'autres maladies, viscérales en particulier.
Vous pouvez avoir confiance en l'objectivité de S. Barrett: son article
ne fait pas une caricature de l'ostéopathie. Les avocats américains
étant très actifs, il aurait été rapidement attaqué
en justice par ceux de l'AOA si ses affirmations n'étaient pas solidement
étayées. L'AOA lui a d'ailleurs demandé des éclaircissements
par l'intermédiaire d'un avocat, mais n'a pas poursuivi son action.
Les ostéopathes non médecins pratiquant en France ont obtenu une
reconnaissance légale depuis 2002 s'ils peuvent se prévaloir d'une
formation de qualité reconnue, mais ont malheureusement importé
ces aspects les plus douteux de l'ostéopathie, ce qui les fait considérer
toujours avec une grande défiance par l'Académie de Médecine.
Les médecins français suivant une formation en ostéopathie
mais gardant foi en l'analyse scientifique sont gênés par les préceptes
plus ou moins métaphysiques qui leur sont inculqués, à
l'instar de ces étudiants américains qui ont écrit à
Barrett.
La reconnaissance légale de l'ostéopathie en France facilite son
recours. Le remboursement des ostéopathes non médecins n'est pas
à l'ordre du jour. Les médecins ostéopathes prenant généralement
un dépassement d'honoraires non négligeable, ce n'est pas une
médecine accessible indifféremment à tous. Nombreux sont
les ostéo non médecins qui ne souhaitent pas un remboursement
de leurs soins par la sécu et préfèrent conserver leur
statut actuel: ils n'ont pas de difficulté à recruter leur clientèle
et des accords avec la sécu signifierait des contraintes extérieures
et une négociation à la baisse sur leurs tarifs.
La polémique est toujours vive sur l'ostéopathie crânienne.
Récemment des études en IRM ont montré que les soudures
des os crâniens n'étaient pas complètement rigides, ce qui
fait dire aux ostéo que leur mobilisation est possible. De là
à conclure que l'on peut influencer la circulation du liquide céphalo-rachidien...
et que les maladies traitées sont bien en rapport avec les troubles de
celle-ci... Les critiques de S. Barrett restent entières, en particulier
l'impossibilité de reproduire les signes d'examen du crâne d'un
ostéopathe à l'autre, qui gêne toute tentative d'analyse
scientifique de la méthode. Le plus probable est que l'ostéopathie
crânienne ait une action réelle, mais pas par les mécanismes
invoqués actuellement par les ostéopathes. Il s'agit sans doute
non pas d'une mobilisation des os du crâne, mais d'une action directe
sur les tissus peauciers de la tête et de la stimulation de récepteurs
nerveux au niveau de ces tissus permettant dans certains cas une action à
distance.
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