Question posée et répondue par David Caviglioli le 19/12/20 sur Le Monde, après sa lecture des ‘Océaniens’, de l’Australien Nicholas Thomas, qui raconte l’histoire coloniale. Caviglioli s’empresse d’en faire une application à l’actualité calédonienne. Ne lui manque-t-il pas quelques informations plus récentes ?
L’histoire coloniale recèle bien des horreurs. Faut-il les juger objectivement ou subjectivement ?
Objectivement : les horreurs trouvent fréquemment des justifications plausibles. Beaucoup de gens sont prêts à des actes abominables pour sauver un proche, diminuer le nombre de victimes, changer un mal insupportable en un autre plus bénin.
Subjectivement : il est important de savoir comment les gens vivent réellement ces horreurs. Mais alors : faut-il lire les témoignages des gens qui les ont vécues ou ceux qui les racontent deux siècles plus tard ?
C’est la faiblesse des livres tels que les ‘Océaniens’. Ils satisfont à l’objectivité. Les faits sont rapportés avec authenticité. Mais paradoxalement ils n’ont pas la bonne subjectivité. Ils remplacent celle des acteurs du drame par la leur, contemporaine. Sensibilité qui a changé radicalement en deux siècles. Combien de temps nos contemporains tiendraient-ils dans les conditions de vie de ces aïeux ?
Au sujet de la colonisation calédonienne, les témoignages sont nombreux du côté colonial. Ils concernent le bagne davantage que les kanaks. Terre de déportation. Conditions de vie très difficiles pour les bagnards comme pour les colons. La terre minérale est moins productive que sur d’autres îles. L’or vert (le nickel) n’est venu que plus tard.
Une vie peu propice à la sensiblerie. Est-il surprenant que ces blancs, aussi riches en frustrations que pauvres en éducation, se soient préoccupés fort peu du sort des kanaks ? La mentalité occidentale dominante en faisait, par ignorance, des sauvages primitifs. Pouvons-nous juger nos ancêtres de nos situations confortables actuelles ? Avons-nous connu leurs exils, famines, maladies, meurtres, et autres ignominies ? La méchanceté n’est pas innée. Elle s’apprend. Elle s’inculque dans toute société où les ressources sont rares et les souffrances banales.
Les témoignages sont rares côté kanak. Pas de textes. Transmission orale. Moins d’objectivité peut-être mais est-ce important ? Les bancs sont devenus honnêtes avec les faits, grâce à des livres comme les ‘Océaniens’. Reste la subjectivité : comme les blancs les kanaks jugent la colonisation avec leur sensibilité d’aujourd’hui.
Les plus âgés ne sont guère revanchards. Aujourd’hui la vie en tribu est différente de celle de leurs ancêtres, mais ce sont des différences positives : santé rejoignant les meilleurs standards de la planète, moindre pénibilité des tâches, moyens de se déplacer, animations et fêtes… le quotidien est plus facile. La tribu se protège plutôt bien du coût élevé que paye le blanc pour de tels progrès : les heures de travail données à la société, la pression permanente de la productivité. Le blanc, lui, vit dans le… tribut.
Chez qui alors le sentiment anti-colonial est-il toujours vivace en Nouvelle-Calédonie ? Chez deux catégories de kanaks : la génération partie faire ses études en métropole et revenue pour “libérer“ la Kanaky, et la jeune génération jamais sortie du territoire au contraire, désoeuvrée, en échec scolaire et s’ennuyant ferme en tribu.
Comment faire pour régler un litige qu’aucun calédonien vivant n’a vécu ? Faut-il rejouer la guerre, cette fois tout le monde armé à égalité, et voir qui va gagner ? Je ne plaisante pas. C’est la mentalité de cette frange de la jeunesse kanak responsable des destructions récentes en Nouvelle-Calédonie. Ils ne sont pas là pour participer à l’avenir du territoire. Ils sont là pour agresser, violenter, dérober, brûler, jusqu’à faire fuir “l’oppresseur blanc“ et s’installer sur les cendres d’une Calédonie dévastée.
C’est là où ce brave David Caviglioli, enfoncé dans son fauteuil confortable et tout transi par ses lectures, manque gravement de discernement. La réalité calédonienne, qu’il expérimente à un demi-globe de distance, ce sont des vieillards paisibles qui se font tabasser à mort par des jeunes en bande, pour quelques maigres possessions. Des filles kanaks battues et défigurées parce qu’elles ont accepté de sortir avec un blanc. Une telle absence de sensibilité ne les rapprochent-elle pas des anciens colonisateurs davantage que de leurs propres ancêtres ?
Un proverbe très juste affirme que le colonisé commence par apprendre le pire de l’ex-colonisateur. C’est bien ça. Le “juste“ combat kanak commence à ressembler à celui des premières milices nazies qui chassaient le juif dans les rues allemandes.
Et les leaders indépendantistes ? Cette autre catégorie militante, celle des kanaks éduqués, est celle de la frustration. Pourquoi le sont-ils davantage que leurs parents, pourtant plus proches du temps des horreurs coloniales ? Parce qu’ils ont encaissé jeunes un certain mépris des blancs dans un monde censé les intégrer.
Les choses étaient plus simples à l’époque des univers séparés. Blanc, kanak: chacun chez soi, chacun ses coutumes, ses lois, son éducation. Avec l’intégration, les kanaks les plus prometteurs ont découvert la compétition. Mais la compétition, au siècle dernier, utilisait toutes les flèches : race, sexe, richesse, origine sociale. Les plus intelligents parmi ces kanaks ont pris du recul avec l’âge sur ces discriminations. Pas tous. Les autres en ont gardé des névroses indélébiles.
Voici la vraie cause des troubles actuels en Calédonie. Pas vraiment les bandes de jeunes déboussolés, perdus entre une coutume qu’ils fuient et un occident qui n’a aucun projet pour eux. La cause authentique est une psychanalyse jamais entamée chez les leaders qui les manipulent. Il y a des Trump de toutes les couleurs et la Calédonie ne manque pas des siens.
N’y a-t-il pas quelques bons arguments dans le discours indépendantiste ? Suis-je outrancièrement réducteur ? Il faut avoir vécu un peu d’années en Calédonie pour comprendre que non. Le rapprochement entre kanaks et blancs progressait régulièrement depuis 40 ans. Nos deux députés sont du parti Calédonie Ensemble, centriste et multi-ethnique, le plus représentatif en 2015.
C’était avant les référendums. Depuis, le centre n’existe plus. Le ‘oui’ et le ‘non’ ont recruté tout les électeurs. Les extrémistes triomphent et s’affrontent.
Malheureusement l’un des discours est bancal. Qu’est-ce que l’indépendance pour les kanaks ? Le vivre ensemble ? Ou le pouvoir pour les kanaks, malgré qu’ils soient minoritaires sur le territoire ? Est-ce préserver la démocratie ou mettre à bas les institutions ? Est-ce chasser les blancs du territoire, comme le souhaite la minorité la plus agressive ?
Notre naïf David Caviglioli ignore probablement que l’état français a reçu une lettre confidentielle du FLNKS, le parti kanak indépendantiste, sur les suites à donner en cas de vote positif pour l’indépendance. Peu de chances qu’il survienne au 3ème et dernier référendum. Si malgré tout le ‘oui’ l’emportait, la situation ne changerait guère, éthiquement : une moitié faiblement majoritaire de la population imposerait sa volonté à l’autre moitié.
Mais juridiquement tout changerait : la lettre du FNLKS demande que le parti soit désormais considéré comme seule autorité légale. Parce que des élections démocratiques lui auraient octroyé ce statut ? Non, uniquement parce qu’ils sont représentants des kanaks.
Probablement Caviglioli ne connaît-il pas un fait plus simple : les kanaks forment 40% de la population calédonienne. La réclamation du FLNKS n’est rien d’autre que donner le pouvoir à une minorité sur une majorité.
Les blancs squatteraient-ils le pouvoir démocratique ? Loin de là. Deux provinces sur trois sont gérées par les kanaks, le président du congrès est kanak, les partis non-indépendantistes et le gouvernement intègrent des personnalités kanaks. Pour obtenir le score notable du oui aux référendums, les indépendantistes militants pratiquent un terrorisme intellectuel avéré sur les moins enthousiastes de leurs congénères. Très au contact des tribus, j’en ai été témoin à de multiples reprises. Les femmes en particulier n’ont pas leur mot à dire. Leur vote n’est pas réellement secret. Beaucoup sont obligées, à la sortie de l’isoloir, de montrer le ‘non’ qu’elles n’ont pas mis dans l’urne.
La société kanak est foncièrement clientéliste. Honnête et communautaire au début, la répartition des ressources privilégie aujourd’hui les hommes forts de la Kanaky. Les troubles récents autour de l’usine du sud ont été déclenchés par Raphaël Mapou, un représentant des tribus locales fort marri de voir s’évanouir une partie de la manne fournie par l’usine : 42 millions d’euros pour “l’aide au développement des tribus du sud“, à travers des associations dont il est gérant… et bien incapable d’expliquer dans quoi l’argent a été investi.
Non ce n’est pas du conspirationnisme. Ce sont les termes de l’accord signé par l’industriel avec Ripou Mapou. L’ex-colonisé continue à copier le pire de l’ex-colonisateur.
Souhaitez-vous vraiment ouvrir un débat sur l’anticolonialisme, cher David Caviglioli ? Commencez par sortir de votre implacable confinement.
*