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Fibromyalgie pour le praticien Création: 11/02 revu 2008

Affection touchant 1 à 2% de la population, près de 9 fois sur 10 une femme, entre 35 et 60 ans, mais l'interrogatoire retrouve souvent des douleurs remontant à l'adolescence.
Critères ACR 90 (1): douleurs diffuses depuis plus de 3 mois et douleur provoquée à la pression de 11 des 18 sites d'insertion tendineuse évocateurs.
La douleur: permanente, aggravée par les efforts, mal localisée, migratrice, ancienne (impossible pour le patient de situer la période précise où elle aurait démarré).
Les autres signes:
-Fatigabilité anormale, pour des efforts parfois minimes, n'empêche pas les patients d'être plutôt hyperactifs, mais ils évitent les efforts physiquement éprouvants.
-Troubles du sommeil (2): réveils fréquents, les nuits ne sont pas réparatrices.
-Fréquence des troubles dits fonctionnels: colopathie, céphalées, palpitations, cystalgies, troubles sensoriels, malaises, disesthésies, troubles de mémoire et d'attention.
-On peut inclure dans les critères diagnostiques: multiplicité des examens complémentaires normaux et des échecs thérapeutiques.
Le psychisme:
1/4 des patients présentent une dépression franche, la moitié a un antécédent dépressif (3). Les troubles psychiques sont plus fréquents dans les familles des fibromyalgiques.
L'examen clinique:
est strictement normal en dehors des points douloureux multiples. Malgré tout, il existe des fibromyalgies typiques secondaires ou associées à d'autres maladies: rhumatismes inflammatoires, arthrose, voire des affections non rhumatologiques. La fréquence de la fibromyalgie ne permet pas de conclure pour le moment qu'il y ait une relation.
Les examens complémentaires:
Bilan minimal Cf douleur diffuse chronique
Ces examens élimineront les diagnostics différentiels:
maladie systémique, dysthyroïdie, myopathie, hépatite, myasthénie, neuropathies, maladies très rares (acromégalie).
Evolution:
La stabilité des symptômes est habituelle. Les psychotropes n'améliorent et ne sont tolérés que par les patients ayant une dépression avérée. Les complications sont iatrogéniques par méconnaissance du diagnostic: examens et traitements inadaptés, interventions chirurgicales plus fréquentes.

Discussion:
Certains auteurs considèrent la fibromyalgie comme une affection psychiatrique. D'autres considèrent les troubles psychiques comme des symptômes et non comme une cause et continuent à chercher un trouble organique sous-jacent. Après de multiples explorations classiques infructueuses, on en est actuellement à essayer de mettre en évidence des anomalies des neurotransmetteurs.
On peut s'étonner et s'inquiéter de la façon dont la recherche sur cette affection est conduite: dispersion des efforts, débauche de moyens aux USA, sans débouchés pratiques, voix s'élevant pour réclamer la même chose en France (qui s'est montré plus discrète jusqu'ici). Cette pléthore de moyens ne serait-elle pas mieux utilisée à améliorer la prise en charge de cette affection par une meilleure formation des médecins? Les études hospitalières ne sont pas adaptées aux troubles légers de la personnalité: les gens se comportent différemment lors d'une visite à leur médecin traitant et lors d'une consultation hospitalière. Il serait intéressant de faire une enquête auprès des médecins de ville pour savoir ce qu'ils pensent de la personnalité de leurs fibromyalgiques.
Mes propres constatations:
J'aime bien le terme de SPID (Syndrome polyalgique idiopathique diffus) créé par M.F. Kahn (5). Il fait sourire les patients qui se sont faits souvent appeler ainsi par des profanes à cause de leur tempérament "tonique".
La fibromyalgique n'est pas une grande dépressive. Sa dépression semble réactionnelle aux douleurs chroniques en majeure partie. Mais pas exclusivement. Elle a plus de difficultés que les autres à gérer ses problèmes personnels. Elle a peu confiance en elle, dévalorise ses capacités physiques alors qu'elle garde une activité importante, et cela remonte même avant l'apparition de ses premières douleurs quand elle s'en souvient.
La fibromyalgique n'est pas hypochondriaque. Certaines ne consultent que très rarement, d'autres viennent poussées par l'entourage. Elle ne vient pas avec l'idée d'avoir une maladie grave. En particulier, très peu craignent d'avoir un cancer.
Par contre la fibromyalgique est neurotonique, anxieuse. Elle ne tarit pas de détails sur ses symptômes, comme se stupéfiant elle-même de tout qu'elle peut ressentir. Son corps est un véritable théâtre! Mais contrairement au classique profil hystérique, elle ne cherche pas à le remplir de spectateurs.
L'angoisse, si on la cherche bien, l'a surtout accompagnée à une période de sa vie, enfance ou adolescence. L'un des parents peut être lui-même un grand anxieux. Parfois les parents avaient toutes les justifications pour montrer une angoisse supérieure à la moyenne: problèmes médicaux prolongés chez leur enfant par exemple. Le retentissement de cette angoisse sur l'enfant est néanmoins important. Il en sort convaincu que son corps ne pourra jamais fonctionner normalement.
Dans nombre de mes cas personnels, une psychothérapie a mis à jour des abus sexuels soigneusement enterrés. Congrès de psychiatrie Lisbonne 09: Une enquête trouve entre 40 et 60% de viols dissimulés chez les fibromyalgiques. Le traumatisme n'a pas toujours besoin d'être aussi évident. Il commence, pour une petite fille, par la conviction de ne pas arriver à plaire à son père, simplement parfois parce que l'on est née fille...

L'hypothèse physiopathogénique la plus intéressante en 2008 est le syndrome d'épuisement au stress:
Important stress dans l'enfance, stress excessif en réaction aux situations de la vie courante, épuisement de l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, dérèglement de la douleur.

Ce qu'il faut prendre et laisser dans le concept de fibromyalgie:
Le diagnostic est important à faire et à expliquer (jamais lors de la 1ère consultation) car c'est la main tendue indispensable à la patiente. Vous reconnaissez l'existence de son affection. Vous lui rendrez service en la mettant en garde contre les excès de la médecine qui méconnaît encore largement ce contexte. Vous la ferez parler de ses symptômes et la surprendrez en lui citant certains qu'elle ne vous aura pas déjà indiqués (facile, les symptômes sont tellement riches...). Il vous faut gagner sa confiance. Il est facile de la convaincre qu'elle a une fibromyalgie. Il est plus difficile de lui affirmer que cette maladie n'est associée à aucun désordre organique connu. Ne hâtez pas le mouvement si vous avez l'impression qu'elle assimilera votre démarche à une négation de ses symptômes. La fibromyalgique n'est pas un cas psychiatrique. La psychanalyse est décevante chez ces patientes. Des contacts médicaux un peu trop directs ont pu la rendre très susceptible sur la question de sa personnalité. Si vous sentez qu'elle sera aidée par une psychothérapie, ce n'est pas forcément à vous de l'entreprendre, mais votre rôle est crucial et délicat pour l'amener à en prendre la décision.
L'inconvénient du diagnostic de fibromyalgie est justement d'enfermer le patient dans un concept très flou pour les médecins mais très clair pour la principale intéressée: j'ai une maladie inconnue! Si les plus grands spécialistes n'en connaissent pas l'origine, pourquoi irais-je me casser les pieds à raconter ma vie à un psy? Je reste avec ma fibromyalgie, d'autant plus que l'on va créer des centres spécialisés pour ma maladie. C'est quand même sécurisant de se sentir reconnue...
La discussion est ouverte.

Un collègue l'a rebaptisée "frigomyalgie".
(il y a des problèmes stockés de longue date au frigo).


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(1) Wolfe F & al. Arthritis Rheum 1990; 33: 160-72
(2) Dauvilliers Y Neurophysiol Clin 2001; 31: 18-33
(3) Hudson JL Rheum Dis Clin North Am 1996; 22: 285-304
(4) Cathebras P Ann Med Interne 1998; 149: 406-14
(5) Kahn MF Concours Médical 1988; 110: 1119-22

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